nous, pigeons du saint patron, 2005

Nous, pigeons du Saint Patron.

Mercredi matin, sur le marché de Courcelles, régnaient le froid pinçant et la lumière rasante.

J'y étais avec Colette et Esope, notre chien, pour les tomates, la pancetta et le thon cru.

Saint Nicolas aussi y était. On voyait de loin ses étoffes rouges, sa barbe transparente et ses lunettes de Ray Charles.  Il brillait comme un aimant.  Comme de l'or gitan.

Un homme à bonnet et à sourire s'approche de nous, deux appareils en bandoulière.  Il me prend le bras et me parle comme à un vieil ami.  Je le connais ?  Petite conversation banale, t'as une belle veste,...  Ton chien, c'est un schnauzer? J'aime bien, c'est comme si c'était votre dernier enfant, non?  Tilt!  Saint Nicolas s'est déjà approché.  Celui-là, il entend le mot enfant, il se met en branle.  Le groupe se resserre : Saint, Esope l'ambigu, notre fils, Colette, la mère, et moi, le père. 

Je jubile. 

Les chalands nous observent, goguenards.  Théâtre de rue, prestidigitation. Nous sommes acteurs de notre vie par simple refroidissement du cerveau.

Le photographe : "-Vous en voulez combien?  Une, deux, quatre?"

Moi : "-deux"

Le photographe à Colette : "- Deux, c'est 15€."

Elle paie, il tire de sa poche une énorme liasse avant de tirer ses photos.  Saint Nic, lui s'est déjà tiré.

Deux polaroïds dans de banales pochettes et nous voilà devant les jambons.

Le charcutier :" –La semaine dernière, Saint Nicolas aperçoit un flic, il fonce dans le premier bistrot et ressort rapidement en civil, une valise à la main.  Elles sont chouettes au moins tes photos?"

Les couleurs apparaissent dans les tristes pochettes.  Un demi contre-jour fâcheux gâche les parties supérieures, effacent les cheveux.

" -Même pas des pros", dit le charcutier.  Il est profondément triste pour nous, les pauvres gogos.

Moralité : ne vous fiez jamais à un Saint Nicolas sans âne.

Ce récit se trouve dans le recueil "Apnées", les éditions de l'heure, novembre 2006